À trop vouloir le confort, on a oublié que vivre, c’est accepter de risquer la mort.  Chap. 3

Vivre, c'est accepter la mort - chap 3

Vivre la loi de la peur

« Sera puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de cinquante à cinq cents euros ou d’une de ces peines seulement, celui qui s’abstient de venir en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave, soit qu’il ait constaté par lui-même la situation de cette personne, soit que cette situation lui soit décrite par ceux qui sollicitent son intervention.
Le délit requiert que l’abstenant pouvait intervenir sans danger sérieux pour lui-même ou pour autrui. Lorsqu’il n’a pas constaté personnellement le péril auquel se trouvait exposée la personne à assister, l’abstenant ne pourra être puni lorsque les circonstances dans lesquelles il a été invité à intervenir pouvaient lui faire croire au manque de sérieux de l’appel ou à l’existence de risques. » (Art. 422bis)(1)

Une autre disposition légale du droit pénal belge nous intéresse ici et concerne la légitime défense, régie ou concernée par les articles 70, 71, 411 à 413, 416, 417 et 478 à 486.(2) Pour être plus précis, et à partir du moment où la loi est une tentative de la société pour empêcher chacun de se faire justice soi-même, porte ouverte à toutes les dérives, voici les conditions nécessaires pour qu’une défense soit reconnue comme légitime. Il faut se trouver confronté à une agression injustifiée occasionnant un péril réel (et non éventuel, ressenti ou présumé), grave (ou estimée comme telle au moment de l’attaque, même s’il n’y a pas danger de mort), déjà commencée ou imminente, contre des personnes (soi-même ou autrui) et non contre des biens. La défense doit être immédiate, dans l’instant et proportionnée à l’attaque. La loi belge précise deux cas où l’hypothèse de la légitime défense doit être prise en compte : quand l’homicide ou les coups ont été portés durant la nuit, alors que l’on cherchait à repousser l’entrée dans une propriété, ou en se défendant contre des cambrioleurs qui auraient eu recours à la violence contre les personnes.(3)

Malheureusement, les médias se font les choux gras en relayant des faits où personne ne bouge alors qu’une agression évidente se passe, où la justice “punit” qui intervient, où les blessures, voire un décès ont eu lieu suite à une intervention. Il en est ainsi de titres comme “Près de Roubaix, une jeune fille rouée de coups dans l’indifférence générale” (Le Figaro, 2014)(4), “Trois belges accusées de trafic d’êtres humains après avoir aidé des migrants” (Le VIF.be, 2018)(5), “Un agriculteur du Béarn condamné à indemniser ses voleurs” (Le Figaro, 2015)(6), “Violences en rue : 100 femmes témoignent” (La Libre.be, 2019)(7), “Procès de l’ancien légionnaire qui avait tué son agresseur Garde du Nord” (Le Figaro, 2019)(8), “Jean-François, tué de plusieurs coups de couteau devant la gare de Mons, n’avait que 19 ans : il a tenté de porter secours à une serveuse” (Sudinfo, 2018)(9), “Condamné après avoir défendu sa collègue” (Le Parisien, 2014)(10), “Poignardée alors qu’elle portait secours à un blessé” (DH, 2013)(11), “Un chauffeur de bus lyonnais viré… pour s’être défendu lors d’une agression” (FL24, 2020)(12), “Un homme sauve un chien… et se retrouve condamné !” (WOOPETS, 2018)(13), “Dunkerque : un pompier volontaire entre la vie et la mort après avoir voulu mettre fin à une agression” (Le Parisien, 2020)(14)

Comment se fait-il que l’on n’intervienne pas quand on est témoin d’une agression, quelle que soit sa gravité ?

Plusieurs phénomènes semblent entrer en jeu, concourant à cet immobilisme. Souvent, la victime ne crie pas, ne se débat pas, tellement elle est pétrifiée, sidérée, par ce qui se passe. Beaucoup d’agresseurs comptent là-dessus pour obtenir ce qu’ils veulent. Un autre phénomène est le déni de la situation, où les personnes témoins pensent, puisque la victime ne se débat pas, qu’elle est consentante. L’effet spectateur, ou encore l’effet du témoin, est tel que plus il y a de personnes témoins, et moins il y a d’interventions en faveur de la victime, chacun voyant sa part de responsabilité diminuer avec l’augmentation du nombre de personnes témoins. Il y a également la peur des risques encourus, la peur d’être soi-même agressé, voire la peur de conséquences juridiques et financières d’une intervention(15). Il y a pourtant des gestes simples à faire dans de telles situations, et j’en profite pour en passer quelques-unes en revue :

1)Première chose à faire, sortir de l’état de sidération(16) que la situation nous fait vivre, et qu’il est fort probable que la victime subit, l’empêchant de réagir. Pour ce faire, frotter ses pieds au sol, fermer fortement et relâcher les doigts, prendre contact visuellement avec d’autres témoins, voire commencer à parler avec eux sur ce qui se passe ;
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2)Si la situation paraît clairement une agression, appeler la police et le faire savoir à l’agresseur. Dès lors, soyez aussi précis que possible en indiquant le lieu de l’agression, le nombre d’agresseurs, le nombre de victimes, la présence éventuelle d’armes, la présence éventuelle d’enfants ;
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3)Dépasser sa peur du ridicule ou de mal faire en intervenant. Mieux vaut se tromper que de laisser une personne se faire harceler ou agresser sans réagir. Si jamais on se trompe, la personne qui aura donné l’impression d’être agressée constatera que son comportement peut inciter à une intervention et en même temps, verra avec reconnaissance que vous étiez prêt à intervenir ;
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4)Solliciter les autres témoins, en les enjoignant soit à filmer, soit à vous accompagner si vous intervenez ;
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5)Interpeller à distance la personne apparemment victime de l’agression et lui demander si elle a besoin d’aide. Cela peut vraiment l’aider à sortir de son hébétude, ou à constater combien la situation est suffisamment ambigüe que pour générer une réaction. De plus, cela permet aux autres témoins de sortir également de leur immobilisme et seront dès lors plus près à vous suivre si vous les sollicitez. Enfin, le ou les agresseurs constateront qu’ils ne vont pas pouvoir compter sur une absence de réactions ;
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6)Si vous vous sentez suffisamment en sécurité, intervenir soi-même, de manière proportionnée ;
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7)Toujours si on se sent suffisamment en sécurité pour le faire, venir directement vers la personne qui subit, en la tutoyant, voire en l’appelant par un prénom inventé, pour faire croire qu’on la connaît, et l’extraire de la situation en l’invitant à vous suivre pour vous asseoir ensemble ailleurs, quitte à la prendre par le bras. En signifiant ainsi sa présence comme allié, on rompt l’isolement dans lequel la place l’harceleur pour mieux arriver à ses fins ;
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8)On peut aussi, de loin, signaler à l’agresseur que ce qu’il fait est un délit interdit par la loi et passible de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende, et qu’il est filmé. En général, cela calme bien ;
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9)Filmer, ou prendre des photos, permet de fournir des preuves précieuses si la victime veut porter plainte par la suite. A ne faire, évidemment, que si déjà quelqu’un intervient de manière appropriée ;
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10)Si une personne intervient déjà, faite savoir que vous la soutenez en signalant soit que vous filmez, soit que vous êtes d’accord avec l’intervention. En général, intervenir se fait en ayant la peur au ventre. Se sentir soutenu renforcera l’impact de l’intervention, soutiendra la victime, et intimidera encore plus l’agresseur ;
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11)Une fois la situation calmée, l’intervention ne s’arrête pas là. Il est alors intéressant de s’occuper de la victime, lui demandant comment elle se sent. Bien dire que ce qui se passe n’est pas normal. Attention à ne pas porter de jugements. Il est essentiel que la victime comprenne qu’elle n’a rien à se reprocher (quand bien même vous pensez le contraire), qu’elle n’a rien fait de mal. Elle est en plein choc traumatique. La honte liée à la situation vécue ne doit pas s’installer en elle. Elle aura tout le temps, plus tard, remise de ses émotions, de se faire sa propre auto-critique.

A éviter :

A)Culpabiliser la victime, même de manière indirecte ;
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B)Intervenir avec violence, tant physiquement que verbalement. Si cela peut effectivement détourner complètement l’attention de l’agresseur sur la victime, ce dernier pourrait s’en prendre à vous, et si vous avez le dessus, porter plainte contre vous pour coups et blessures si jamais il est démontré par la suite que votre intervention était disproportionnée.

La dernière partie verra une conclusion sur cette question de ce qui nous fait devenir à ce point individualiste.

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« Le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace »
[Aristote]

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(1) MONITEUR BELGE. Code Pénal, DE QUELQUES ABSTENTIONS COUPABLE, Art. 422bis [en ligne] 1961 [consulté le 12-12-2020] Disponible à partir de l’URL : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/loi_a1.pl?language=fr&caller=list&cn=1867060801&la=f&fromtab=loi#LNK0111

(2) WIKIPEDIA. « Légitime défense » [en ligne] 2020 [consulté le 13-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9gitime_d%C3%A9fense#:~:text=Droit%20par%20pays-,Belgique,contre%20une%20ou%20plusieurs%20personnes

Gouverneur de la province de Liège. « La légitime défense : conditions strictes ! » [en ligne] 2014 [consulté le 14-12-2020] Disponible à partir de l’URL : http://gouverneur.provincedeliege.be/fr/node/7401

(3) Question-justice.be. « “Je me suis défendu !” ou la légitime défense. » [en ligne] 2016 [consulté le 15-12-2020] Disponible à partir de l’URL : http://www.questions-justice.be/Je-me-suis-defendu-ou-la-legitime-defense

(4) Le Figaro. F/Société. « Près de Roubaix, une jeune fille rouée de coups dans l’indifférence générale. » [en ligne] 2014 [consulté le 15-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/10/24/01016-20141024ARTFIG00082-a-roubaix-une-jeune-fille-rouee-de-coups-dans-l-indifference-generale.php

(5) LE VIF. LALLEMAND C. « Trois belges accusées de trafic d’êtres humains après avoir aidé des migrants. » [en ligne] 2018 [consulté le 16-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.levif.be/actualite/belgique/trois-belges-accusees-de-trafic-d-etres-humains-apres-avoir-aide-des-migrants/article-normal-847207.html?cookie_check=1608650112

(6) Le Figaro. DESCOURS G. « Un agriculteur du Béarn condamné à indemniser des voleurs. » [en ligne] 2014 [consulté le 15-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/12/17/01016-20151217ARTFIG00129-un-agriculteur-du-bearn-condamne-a-indemniser-des-voleurs.php

(7) La Libre.be. VANDERKELEN L. « Violence en rue : 100 femmes témoignent. » [en ligne] 2019 [consulté le 16-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://dossiers.lalibre.be/100-femmes-temoignent/#

(8) Le Figaro. POYET S. « Procès de l’ancien légionnaire qui avait tué son agresseur, gare du Nord. » [en ligne] 2014 [consulté le 17-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/proces-de-l-ancien-legionnaire-qui-avait-tue-son-agresseur-gare-du-nord-20190618

(9) SudInfo.be. « Jean-François, tué de plusieurs coups de couteau devant la gare de Mons, n’avait que 19 ans : il a tenté de porter secours à une serveuse. » [en ligne] 2018 [consulté le 17-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.sudinfo.be/id61573/article/2018-06-26/jean-francois-tue-de-plusieurs-coups-de-couteau-devant-la-gare-de-mons-navait

(10) Le Parisien. « Condamné après avoir défendu sa collègue. » [en ligne] 2014 [consulté le 18-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.leparisien.fr/archives/condamne-apres-avoir-defendu-sa-collegue-22-11-2014-4312327.php

(11) La DH. CAYROL R. « Poignardée alors qu’elle portait secours à un blessé. » [en ligne] 2013 [consulté le 18-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.dhnet.be/actu/faits/poignardee-alors-qu-elle-portait-secours-a-un-blesse-51b74255e4b0de6db9774462

(12) FL24. BLOND F. « Un chauffeur de bus lyonnais viré… pour s’être défendu lors d’une agression ! » [en ligne] 2020 [consulté le 18-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://fl24.net/2020/09/12/un-chauffeur-de-bus-lyonnais-vire-pour-setre-defendu-dune-agression/

(13) WOOPETS. DIEU A. « Un homme sauve un chien… et se retrouve condamné ! » [en ligne] 2018 [consulté le 19-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.woopets.fr/chien/actualite/un-homme-sauve-un-chienet-se-retrouve-condamne/

(14) Le Parisien. « Dunkerque : un pompier volontaire entre la vie et la mort après avoir voulu mettre fin à une agression. » [en ligne] 2020 [consulté le 19-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.leparisien.fr/faits-divers/dunkerque-un-pompier-volontaire-entre-la-vie-et-la-mort-apres-avoir-voulu-mettre-fin-a-une-agression-03-02-2020-8251515.php

(15) Pourquoi docteur. « Non assistance à femme en danger : le terrible silence. » [en ligne] 2016 [consulté le 20-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://www.pourquoidocteur.fr/Blog-Rica-Etienne/13537-Non-assistance-a-femme-en-danger-le-terrible-silence

ARLANDIS F. « Pourquoi les témoins d’agression n’interviennent-ils pas (toujours) ? » SLATE [en ligne] 2014 [consulté le 20-12-2020] Disponible à partir de l’URL : http://www.slate.fr/france/86391/non-intervention-agression

WIKIPEDIA. « Effet du témoin. » [en ligne] 2020 [consulté le 18-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_du_t%C3%A9moin

(16) Wiméo. « Sous influence (Arte – Extrait) » [en ligne] 2019 [consulté le 21-12-2020] Disponible à partir de l’URL : https://vimeo.com/365085241

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